L'histoire des Humanoïdes Associés est indissociable de celle d'une revue d'anticipation et de science-fiction qui a bousculé le Neuvième art dans les années 1970 : « Métal Hurlant ». Plongée dans un univers orchestré par Etienne Robial, Philippe Druillet, Jean-Pierre Dionnet, Jean Giraud alias Moebius et dans lequel ont dessiné des légendes. Flashback.
1974. Un jeune couple, Florence Cestac et Etienne Robial, fonde ce qui va devenir une des plus audacieuses maisons d'édition de la bande dessinée française : Futuropolis. Ils rachètent d'abord la librairie éponyme créée par Robert Roquemartine en 1969. Elle publie un fanzine nommé Comics 130. Et que contient son numéro hors-série de 1971 ? Les Aventures potagères du Concombre masqué, de Nikita Mandryka.
On retrouve la trace de cet auteur au cœur des années 1970 qui fleurent bon l'émancipation, la révolution des mœurs et la liberté âprement obtenues sur les barricades de Mai-68. Il fait partie d'une bande d'artistes aux univers déjantés et aux idées novatrices qui bousculent le monde de la bande dessinée, de l'illustration et de la science-fiction. Ces dingos de l'anticipation, avides d'univers décalés aux personnages perchés, se nomment Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet, Jean-Giraud. Le dessinateur virtuose de Blueberry commence à se faire un nom sous le pseudonyme de Moebius.
S'émanciper du trop classique Pilote
C'est dans un foisonnement de nouveautés, d'envies et une soif illimitée d'ouvrir leur champ des possibles que cette poignée de pionniers pose les bases d'une nouvelle bande dessinée. Bien loin des stéréotypes classiques, tenus de main de maître par René Goscinny, rédacteur en chef de Pilote et scénariste d'Astérix.
Métal Hurlant, revue d'un genre nouveau, contribue, de 1975 à 1987, à redistribuer les codes de la BD en proposant des scénarios dépoussiérés. Les histoires sont moins naïves, plus subversives et en phase avec la société. Comme l'a très bien compris le collectionneur et amoureux de BD Michel-Edouard Leclerc, en proposant, en 2013-2014, la première exposition titanesque dédiée à la BD, le pendant de Métal Hurlant, (A Suivre), a aussi permis de développer, de 1978 à 1997, une bande dessinée narrative, écrite et littéraire, présentée en feuilleton dans les pages de la revue puis éditée.
Le garage hermétique © Moebius, Les humanoides associés
Derrière chacun de ces deux périodiques se trouve alors une maison d'édition : Casterman pour (A Suivre) et Les Humanoïdes Associés pour Métal Hurlant. Et derrière Métal Hurlant se cache un nom : Etienne Robial. Celui-là même, pilier de Futuropolis qui, au milieu de ces années 1970 foisonnantes, est aussi le concepteur graphique, l'homme de l'ombre de ces deux revues.
« Métal Hurlant est l'enfant de mai 68, issu du divorce entre Pilote (revue dans laquelle paraissent Astérix, Lucky Luke, Blueberry...) et une nouvelle génération d'auteurs. René Goscinny, scénariste de génie, dirige le magazine avec talent, chaleur mais également autorité et fermeté. Cette génération de jeunes artistes a besoin d'espace personnel pour s'exprimer. Or, dans Pilote, elle n'en a pas la possibilité », écrit Jean-Baptiste Barbier, le commissaire scientifique de l'exposition Leclerc (1), dans l'introduction du catalogue, Révolution graphique et exigence du récit !
« Les Humanos »
En parallèle, trois auteurs s'émancipent de Goscinny. En 1972, Marcel Gotlib (Gai Luron, Rhââ Lovely...), Nikita Mandryka et Claire Brétécher (Les Frustrés, Agrippine) lancent leur propre revue : L'Echo des Savanes. Ce Mandryka est décidément dans tous les bons coups : il trouve le nom Métal Hurlant à ce nouveau magazine au papier et à l'encre gorgés d'espoir. Il passe beaucoup de temps à échanger avec les quatre futurs Humanoïdes associés, qu'on appellera très vite « Les Humanos ».
Jean-Pierre Dionnet représente l'âme du magazine, son cerveau, son ADN. Moebius (Arzach, L'Incal, Le garage hermétique...) incarne une nouvelle génération de dessinateurs virtuoses et déjantés et Philippe Druillet (La Nuit, Lone Sloane, Salammbô d'après l’œuvre de Gustave Flaubert) est le dynamiteur de planches : il était encore possible d'en admirer quelques-unes lors de l'expo historique La BD à tous les étages, qui a fermé ses portes début novembre 2024 au Centre Pompidou. Le quatrième larron est Bernard Farkas, chargé de l'administratif et du financier.
Couverture Métal Hurlant, numéro anniversaire 50 ans © Métal Hurlant
Sexe, science-fiction, violence, politique, sujets de société.... Tous les auteurs de cette mouvance libertaire s'expriment sans limite dans les colonnes désintégrées de Métal Hurlant : Enki Bilal, Jacques Tardi, François Schuiten, Arno, Franck Margerin, Corben ou encore Serge Clerc. Métal Hurlant se veut le creuset des talents du moment, le melting pot d'une bande dessinée franco-belge qui n'a de cesse de vouloir se renouveler. Plus qu'une rédaction, c'est un laboratoire au sein duquel ces scientifiques du dessin expérimentent, tentent, essaient, mettent au point. Leurs mots-clés ? « Liberté, création graphique, chaos et innovation. »
Métal Hurlant insuffle un esprit révolutionnaire et se donne pour mission de rendre la bande dessinée adulte
Cet univers ne pouvait évoluer sans intégrer la plus métallique des musiques : le rock. Le journaliste Philippe Manoeuvre rejoint l'équipe en 1976. Métal Hurlant insuffle ainsi un esprit révolutionnaire et se donne pour mission de rendre la bande dessinée adulte, loin de la fausse image de sous-littérature enfantine qui lui collera à la peau encore trop longtemps.
Un nouveau Métal Hurlant
Cinquante ans après, cette incroyable aventure artistique et éditoriale se poursuit. Pour célébrer le demi-siècle des Humanos et de sa revue mythique, plusieurs portes spatio-temporelles s'offrent à vous : la nouvelle revue, cinq livres posters dépliants et d'autres publications qui montrent que l'état d'esprit est resté intact.
Pour Loran, ancien guitariste du groupe Bérurier Noir, fer de lance de la scène punk française (2) et actuel guitariste des Ramoneurs de Menhirs, « Métal Hurlant, ça m'évoque une ambiance à la Phantom of the Paradise de Brian De Palma, un mélange de BD et d'esprit rock. J'y vois l'influence du LSD, dans la continuité de la Beat Generation avec un Moebius, par exemple. Crumb en parle aussi très bien. Tous les artistes de cette époque sont passés par là. Ça donne un côté labyrinthique au magazine, tu pouvais le lire dans plusieurs sens, c'était très riche, avec plein de choses à découvrir [...] ».
Effectivement, Métal Hurlant a mis la BD dans tous les sens.
Plus d'infos sur : humano.com/metal-hurlant
1. " 1975-1997 : la bande dessinée fait sa révolution... Métal Hurlant (A Suivre) " du 15 décembre 2013 au 11 mai 2014, au Fonds Hélène & Edouard Leclerc pour la culture (FHEL) à Landerneau (Finistère).
2. Extrait du livre-poster " Des lendemains qui hurlent n°1, 1975-1985 vu par Julien Loïs ". Le deuxième numéro est disponible depuis décembre 2024 et trois restent à paraître en février, avril et juin 2025.
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