Christope Bec a un emploi du temps très chargé. Scénariste de nombreuses séries, il a voulu revenir à l’essentiel. C’est donc en tant qu’auteur complet qu’il signe Les Tourbières noires, un huis clos fantastique et angoissant qui révèle un dessin réaliste et soigné. Il revient sur ces quatre années de travail passionnées...
Quand l’Aubrac dévoile ses mystères
Les Tourbières noires était initialement un projet de court-métrage, comment la BD est-elle arrivée ?
Christope Bec :Pour le film, la question du financement revenait sans cesse comme toujours en matière de cinéma. À chaque fois j’allégeais le projet pour réduire le budget, qu’on n’a jamais obtenu ! J’avais écrit au moins quinze scénarios. Pour la bande dessinée, je suis revenu aux trois premières versions, vu que la question du budget ne se pose plus vraiment. Les capacités du dessinateur sont la seule limite. J’ai quand même refait un travail d’écriture pour réadapter les dialogues afin de créer quelque chose d’un peu plus littéraire.
Cet album signe votre grand retour au dessin…
C’est venu d’une frustration. J’avais pour projet de dessiner Bob Morane, qui est le héros de mon enfance, mais ça ne s’est pas fait. Comme j’étais parti sur l’idée de refaire un album au dessin, il fallait que je la concrétise : autant partir sur un projet personnel comme auteur complet.
Que vous inspire la région de l’Aubrac ?
Je connais depuis que je suis enfant car j’allais y skier. On passait devant le bâtiment du Royal Aubrac qui me faisait penser au film Shining. En hiver, la nuit et le brouillard tombent très vite et on peut vraiment flipper. Ces paysages peuvent générer des ambiances un peu fantastiques. J’avais surtout envie de filmer cette terre car je savais qu’en la dessinant je n’arriverais pas tout à fait à retranscrire son atmosphère... Je suis limité par mon dessin, mon style et surtout la forme de BD que je voulais mais je me suis efforcé de retranscrire les impressions que j’avais sur l’Aubrac, mes souvenirs d’enfance...
Qu’est-ce qui vous attire dans le cinéma ?
Vers la fin des années 90, j’avais essentiellement une culture bande dessinée et je m’apercevais que j’allais tourner en rond. Pendant trois ans, j’ai bouffé trois ou quatre films par jour. Il m’a fallu du temps pour les digérer mais ça a quand même nourri mes scénarios. J’ai aussi tourné deux courts-métrage plus ou moins auto-financés et je me suis aperçu que j’aimais réaliser.
Le premier court-métrage était en prévision des Tourbières noires pour voir si j’en étais capable, si je pouvais gérer une équipe de tournage et diriger des acteurs. Actuellement j’ai un projet de long métrage, qui n’en est qu’au début et que je réaliserai si tout va bien...
Cette BD est une adaptation d’une nouvelle de Maupassant, quelles libertés avez-vous prises ?
J’avais lu La Peur de Maupassant gamin et il m’avait marqué. Quand on m’a demandé d’écrire un court-métrage, je savais que je n’aurais pas beaucoup de budget donc j’ai pensé à un huis clos. J’ai fait une adaptation très libre avec la reprise du concept du mort-vivant qui revient à la date anniversaire de sa mort hanter son meurtrier.
Il m’est aussi resté l’atmosphère du conte, ce côté huis clos où l’on tend inexorablement vers la folie. Chez Maupassant, il n' y a pas de personnage féminin mais il était important pour moi d'en avoir un qui soit très fort.
Le lecteur hésite à croire le personnage de Baptiste, le meurtrier…
C’était volontaire de troubler le lecteur. Baptiste est un fermier acariâtre qui est terrorisé cette nuit-là car il sait que c’est celle où revient le hanter Bayac qu’il a tué. Je voulais provoquer une seconde lecture. Est-ce que le lecteur peut déceler des indices lui prouvant ou non l’existence du mort vivant ? Je ne donne pas vraiment de réponse : on peut relire l’histoire avec les deux optiques.
Retour aux sources
Comment avez-vous traité graphiquement ce huis clos ?
J’ai pris beaucoup de photos de la pièce. Au niveau de la narration, quand on doit faire bouger les personnages dans le décor, le premier truc c’est de ne jamais refaire deux fois la même case. Autant le cinéma peut parfois un peu limiter le placement de caméra, autant c’est agréable de les moduler en BD. J’ai essayé à chaque fois de changer les axes de caméra et de jouer sur les gros plans.
Comment avez-vous travaillé le dessin ?
Je voulais revenir à un dessin très traditionnel. J’ai fait cet album à côté de mon travail de scénariste, donc j’ai mis quatre ans à le faire. Je voulais revenir à du grand format, à de la BD que j’aimais lire quand j’étais gamin. Travailler sur papier avec du pinceau et de l’encre de Chine. La plus grande difficulté a été de caractériser les personnages : mon point faible.
Pour la partie plus technique, j’avais envie de pousser plus loin. Quand on est dessinateur à temps plein on a des impératifs et il arrive un moment où on laisse passer des choses, même inconsciemment. Moi je n’avais pas de délai donc j’arrêtais la planche quand j’en étais content. Ça ne veut pas dire que c’est parfait mais j’ai donné à 100 % sur cet album. Le but de ce retour au dessin était aussi de prendre du plaisir à dessiner.
Reprendre du plaisir passait par retrouver ce pour quoi gamin j’avais envie de faire ce métier. Du coup je ne me suis pas remis en question sur mon dessin, je suis revenu à ce que je savais faire mais plus consciencieusement. J’ai fait des illustrations pour la couverture, la quatrième de couverture, pour la page de garde, la page titre ce que la plupart des dessinateurs n’ont pas le temps de faire.
J’ai aussi passé un temps fou sur les couleurs qu’on a faites à deux. Je tenais à des couleurs traditionnelles qui soient faites sur gris, ce que quasiment personne ne fait plus aujourd’hui. Comme je ne suis pas capable de le faire, un coloriste m’a fait la base que j’ai reprise par ordinateur mais en gardant les accidents des encres, le grain du papier. Je tenais à ce qu’on sente qu’à la base il y a un travail manuel et artisanal.
Comment vous organisez-vous ?
L’organisation est vraiment nécessaire quand on fait autant de séries. J’en ai une très stricte : j’évite de travailler sur deux scénarios à la fois. J’aime bien écrire un album en entier.
Pour la création, c’est plus compliqué. On n’est pas dans l’ordre du quantifiable. Un scénario ça peut partir d’une simple photo comme pour Pandemonium. Parfois c’est plus compliqué : des mois de gestation avec les idées de personnages ou de scènes qui ne s’imbriquent pas. Pour l’écriture du scénario elle-même, c’est pareil : il y en a que j’écris très vite et d’autres très lentement. Pour une série comme Prométhée qui a quinze tomes, il faut tout aller vérifier, un travail de titan ! Quand je sais que j’ai mis une info quelque part mais je ne sais plus à quel moment ni à quel tome, là c’est l’horreur !
Envisagez-vous de repartir dans un projet en tant qu’auteur complet ?
Pas tout de suite ! J’ai engagé beaucoup de choses au scénario donc je vais prendre le temps de bien les faire. Je pense repartir sur l’écriture pour trois-quatre ans. Et attendre que ça me démange de redessiner.
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