Rencontre avec le scénariste de bande dessinée historique et prof d’histoire Bertrand Galic, 42 ans. Discussion au pub le Mc Guigan’s, sur le port de commerce de Brest. Ce troquet, il s’en est inspiré pour en faire le bar de la Marine dans sa dernière création avec Kris, autre scénariste brestois, Nuit noire sur Brest. En attendant Sept athlètes et une tétralogie sur Violette Morris.
Quatrième de couverture de 7 athlètes
Des projets plein la tête
Ton actu des prochains mois, c’est la sortie de Sept athlètes, le 23 mai ?
Bertrand Galic : Oui, dans la collection-concept Sept, dirigée par le Quimpérois David Chauvel. L’idée est née pendant la deuxième moitié du travail sur Un maillot pour l’Algérie. On a bossé avec David Morancho, un dessinateur barcelonais, sur les Jeux Olympiques « de gauche » de Barcelone qui devaient se tenir en juillet 36 pour contrebalancer la propagande nazie de Berlin 36 et combattre les idées d’Hitler sur le terrain. Mais Franco fait un coup d’Etat et piège 6 000 athlètes européens qui se retrouvent en pleine guerre civile... Certains vont rejoindre les futures Brigades internationales. C’est le cas de nos sept personnages fictifs.
Quels sont tes projets en cours ?
Une autre aventure sur X-10, l’espion anarchiste de Nuit noire sur Brest n’est pas impossible. Plus concrètement, on a resigné avec Futuropolis, Kris et Javi Rey (le dessinateur d’Un maillot pour l’Algérie) une série en quatre tomes sur Violette Morris, la plus grande championne française de l’histoire tous sports confondus dans les années 20-30, en plus d’avoir eu une carrière de cabaret où elle a côtoyé Jean Marais, Cocteau, Joséphine Baker...
Extrait de Nuit noire sur Brest
Un personnage qui a eu une vie compliquée : elle était lesbienne, fumait, buvait, portait des pantalons... Et elle a collaboré pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a été assassinée pour ça en Normandie. Un historien, Raymond Ruffin, s’est approprié le sujet dans son livre, La Hyène de la Gestapo. Ce n’est pas si simple : elle a collaboré et fait du marché noir, mais n’a pas fait tout ce qu’on lui prête. Sa mort a arrangé beaucoup de personnes. L’idée n’est pas du tout de la réhabiliter, mais d’en parler différemment. Premier tome en 2018.
As-tu des travaux plus personnels ?
Je bosse avec le dessinateur Paul Echegoyen sur l’adaptation du troisième voyage de Gulliver, qui a notamment inspiré Hayao Miyazaki pour son manga Le Château dans le ciel. Ce sera un album épais chez Noctambule, comme Le Cheval d’orgueil, fin 2017-début 2018.
Tu es très attaché à Brest…
Je suis né à Lorient. Un autre port, une ville qui a des points communs avec Brest, dont je suis originaire par la branche maternelle. Mon grand-père habite toujours ici. J’y ai traîné mes guêtres tout petit et je me sens complètement brestois. J’ai eu une maîtrise et un Capes d’histoire à l’UBO (Université de Bretagne occidentale).
J’ai ensuite bossé huit ans comme prof d’histoire dans un collège de Graulhet, dans le Tarn. J’ai eu la chance de revenir à Brest en 2008. Je travaille depuis au collège Kerhallet, dans le quartier sensible de Bellevue. Je suis à mi-temps depuis deux ans pour avoir plus de temps à consacrer à l’écriture. Mais si je dois faire un choix entre la BD et l’enseignement, ce sera l’écriture.
Kris, l’histoire d’une rencontre
Comment rencontres-tu Kris ?
En fac d’histoire, il y a vingt ans. On a posé nos fesses sur les mêmes bancs, sans forcément être trop assidus... On a sympathisé. C’était pendant les grandes grèves étudiantes de 1995. Et puis il a bossé à la librairie Dialogues et la Sonothèque, moi chez Dialogues disques. On se retrouvait au bar La Marque jaune, c’est marrant [N.D.L.R. référence à Blake et Mortimer]. On a joué au foot ensemble. Pendant que je vivais dans le Sud-Ouest, il s’est engagé dans la BD avec la création du fanzine Violon dingue, avec d’autres qui ont ensuite percé : Gwendal Lemercier, Lamanda...
Extrait de la couverture Le Cheval d'Orgueil
Tu ne faisais pas de BD à l’époque ?
Non. J’en lisais, j’écrivais des bouquins. En revenant à Brest il y a huit ans, je retrouve Kris et mon ami Arnaud Le Gouëfflec, un copain de prépa. Ils m’ont poussé. Ils ont été les premiers lecteurs de mes scénarios, m’ont donné des conseils. J’avais écrit des nouvelles, de la poésie, pas forcément en rapport avec l’histoire. Je ne me l’interdis d’ailleurs pas. Ça m’intéresse beaucoup aussi d’explorer d’autres voies : j’écris des chansons pour ma compagne qui chante dans un groupe. Ecrire pour le cinéma me brancherait aussi.
L’adaptation en BD du Cheval d’orgueil est ton premier projet ?
Après un premier travail sur Sandino au Nicaragua, qui n’a pas abouti. J’ai découvert Le Cheval d’orgueil de Per-Jakez Hélias à 17-18 ans, chez mes grands-parents maternels à Brest. Ça m’a bouleversé : comme l’auteur, mon grand-père adore raconter des histoires. Des années plus tard, je rencontre le dessinateur Marc Lizano au festival BD de Loperhet, dont je participais à l’organisation : j’étais vice-président de l’association Brest en bulles.
Marc logeait chez moi. Un soir un peu tard, après le digestif, on constate qu’il n’existe pas beaucoup de BD sur le fond patrimonial breton. On se demande pourquoi Le Cheval d’orgueil n’a jamais été adapté. Il y a quatre ans, au festival de Perros-Guirec, Marc me dit que si ça me branche, on fonce ! Il a fallu beaucoup le relire car c’est très foisonnant : c’est une succession de tableaux, pas du tout un roman. J’en ai conclu qu’il fallait me positionner dans le regard de l’enfant et le voir grandir.
Extrait d'Un maillot pour l'Algérie
Vous commencez à avoir envie de traiter d’Histoire, de sport et de politique en BD avec Kris…
Oui, mais on est très conscients qu’il vaut mieux déterrer une histoire que raconter d’une autre manière une histoire déjà connue. J’ai trouvé le sujet d’Un Maillot pour l’Algérie en faisant des recherches sur Internet. [NDLR : la première équipe nationale algérienne, avec des joueurs qui évoluaient tous dans le championnat de première division française.]
Comment fonctionne un scénario à quatre mains ?
Il faut bien s’entendre, être capable de mettre son ego de côté et pouvoir vraiment se dire les choses. Avec Kris, on a les mêmes sujets d’intérêts : l’Histoire, le sport, les récits engagés. On bloque du temps pour dérouler l’histoire de A à Z dans ses grandes lignes. On se dispache les scènes. Quand on a trois-quatre pages avancées, on les envoie à l’autre. Il lit, on en parle, on amende, on propose. Il y a un jeu de ping-pong permanent, par mail, par téléphone ou en visu pour Kris et moi, car nous sommes presque voisins. On en discute et quand on est OK à la virgule près, on envoie au dessinateur.
Extrait d'Un maillot pour l'Algérie
Tu travailles aussi sur la BD avec tes élèves ?
Oui, je mène un travail depuis trois ans avec des collégiens de cinquième et des collègues de français et d’arts plastiques. Ils écrivent leur propre scénario, je fais venir des intervenants extérieurs (scénaristes, dessinateurs, coloristes). Le résultat débouche sur une expo à la médiathèque de Bellevue à Brest et à l’édition d’un recueil. J’aimerais monter une véritable section BD, mais cela demande du temps et des moyens.
Extrait de 7 athlètes
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