ZOO

Brugeas, Toulhoat : « Notre duo, c'est notre identité »

Dix ans de bande dessinée pour Vincent Brugeas, scénariste, et Ronan Toulhoat, dessinateur. Deux tomes d’Ira Dei et un album de Conan le Cimmérien cette année. Depuis Block 109, les deux artistes forment un duo professionnel et amical qui ne fonctionne jamais aussi bien qu’uni. À l’occasion de l’exposition Conan de Quai des Bulles, retour sur une année faste.

« Ronan ? Je l’ai rencontré en 2003, je draguais sa sœur au lycée... » Débuts atypiques, selon Vincent Brugeas. La sœur présente le romancier à son frère dessinateur, textes et dessins s’échangent avec évidence : ils se comprennent parfaitement.

Alors ils décident de se lancer dans des projets BD. Pendant 5 ans, ils enchaînent dossiers et déconvenues. « En 2008, nous sommes arrivés à Angoulême vraiment sûrs de nous » se souvient Ronan « mais on s’est fait ramasser en beauté. » Pourtant, le contact est établi avec Akiléos, qui comprend déjà que le duo a de l’avenir. « Nous leur avons proposé un polar médiéval et une uchronie. Akiléos voulait le polar, mais l’uchronie était plus aboutie, alors nous avons tenté » selon le scénariste. Septembre suivant, le contrat est signé pour Block 109.

Bédéaste n’est pas un long fleuve tranquille

Il faudra 18 mois pour produire ce premier album qui marque les esprits. Une période durant laquelle le dessin se retrouve une nouvelle fois déconstruit. « Emmanuel Bouteille et Richard Saint Martin m’ont incité à bouger. Après avoir lu Animal’z de Bilal, j’ai compris où je devais aller : moins d’encrage, des couleurs plus légères, plus d’énergie dans le trait. » Dans le même temps, l’envie de pousser l’univers Block 109 émerge et quatre sujets émergent. Suivront donc Etoile Rouge, Soleil de Plomb, New York 1947 et Ritter Germania.

Après Block 109, les deux amis décident de partir sur un format comic book : Chaos Team. Ça ne marche pas. La déception est énorme pour les amis, surtout pour Vincent :« Je pensais que cet échec, c’était ma responsabilité. Je voyais bien Ronan être courtisé par d’autres, moi je stagnais. Je me voyais comme son boulet. » Une situation qui n’a pas échappé au dessinateur. Lui comprend déjà que son intérêt, sa force, c’est l’alliance avec Vincent et Akiléos.

Le tournant Roy des Ribauds

Le Roy des Ribauds est une vieille envie des deux auteurs. Ils sont d’abord contactés par Delcourt pour une collection comics. Le projet n’aboutit pas et le sentiment d’échec se fait encore plus présent. Mais Richard Saint Martin veille : « Après le rejet, Richard nous dit qu’il voulait ce projet depuis longtemps. Et que la seule chose qui comptait, c’était que nous fassions comme nous voulions. » Mais dans la tête de Vincent, c’est le dernier album. Il ne pense pas que le succès viendra. « J’ai voulu faire un dernier livre pour dire merde à tout ça, juste pour me faire plaisir » confie le scénariste.

Dans ce lâcher prise, il donne tout. Avec un Toulhoat convaincu, le résultat est à la hauteur des espérances de l’éditeur, qui sort le titre pour Angoulême 2015 dans une édition collector. Avec des retours libraires et critiques excellents, les deux amis arrivent en Charente gonflés à bloc. L’édition s’écoule en deux jours. Un succès incroyable : 15 000 exemplaires vendus. Cet album va pousser Jean-David Morvan à les contacter pour intégrer la collection qu’il prépare sur Conan. Une série de one-shots, qui donne carte blanche aux artistes pour interpréter les nouvelles de Robert E. Howard. « Nous y avons vu une occasion de se constituer une carte de visite » dit Vincent. « Les gens ne nous attendant pas sur le pur franco-belge, nous pouvions les surprendre ! »

Place à l’aventure !

Dès la scène d’introduction, proposée par Vincent mais rendue plus forte encore par Ronan au découpage, le ton est donné. Ecrasant, intelligent dans sa façon de condenser deux époques en une et de placer tous les enjeux à venir en quelques pages. « Ces pages montrent aussi que Vincent ne craint pas de se fondre dans le dessin » souligne son compère. « Il n’a pas peur de faire disparaître l’écriture derrière le dessin. Même si cela ne se voit pas, tout est écrit par lui. » Le dessinateur en profite pour s’ouvrir aux batailles épiques, avec un sens de la mise en scène digne d’Hollywood.

Autant de bases qui vont servir Ira Dei, produit après Conan même s’il est sorti quelques mois plus tôt. « J’ai prévu douze tomes, par cycle de deux » confie Vincent Brugeas. « C’est vraiment de la BD d’aventure à travers l’Europe médiévale. » Une série plus classique dans sa forme, qui va encore et toujours insister sur les personnages et leur destin. « C’est Ronan qui me l’a fait remarquer au premier tome, c’est une histoire d’émancipation individuelle. Les lecteurs s’en rendront compte au fil des tomes. » Une bonne occasion pour Dargaud de concrétiser avec des artistes surveillés depuis plusieurs années. « J’avais commencé à travailler pour eux avec Valérie Mangin et Denis Bajram » révèle Ronan « sur un projet d’heroic fantasy antique qui n’est pas allé au bout. Je n’arrivais pas à rentrer en résonnance avec ce qu’ils proposaient, ils l’ont très bien compris. Je craignais que cela ne me mette en porte-à-faux avec Yves Schlirf [l’éditeur N.D.L.R.], mais il m’a tout de suite rassuré. Ca ne remettait pas en cause les discussions qu’il avait avec Vincent et moi. »

Vincent et Ronan n’entendent pas se reposer sur leurs lauriers. « Nous pensons déjà à l’après Ira Dei. On a très envie de se rapprocher encore plus de la BD grand public. » Le sorcier de Conan leur a donné des envies de fantastique, peut-être de cape et d’épée. « Nous voulons aller vers un concept de base plus facile à s’approprier pour le lecteur, facile à prendre en main mais avec une matière à développer au fur et à mesure. »

Travail acharné, remise en question, talent, avec de telles qualités, leur avenir est certain. Plus forts que jamais, en rencontre avec un lectorat conséquent, tous les voyants sont au vert pour que ces deux amis continuent pendant de longues années encore, d’entraîner les lecteurs dans leurs univers.

Article publié dans le magazine Zoo n°67 Septembre - Octobre 2018

Haut de page

Commentez

1200 caractères restants