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Benjamin Lacombe: « Je viens d'une famille de femmes fortes »

Après Marie-Antoinette, Alice, Frida Kahlo, Carmen et tant d'autres, le plus en vogue des jeunes illustrateurs français a sorti cinq livres en 2020. Bambi, La famille Dont Histoires de fantômes et Esprits et créatures du Japon. Il nous explique pourquoi.

Comment vous-êtes vous intéressés aux contes et histoires anciennes du Japon ?

Benjamin Lacombe: « A partir d'un auteur, Lafcadio Hearn. Cet Irlandais (1850-1904), devenu journaliste et écrivains aux États-Unis avant d'être l'un des premiers occidentaux à avoir obtenu la nationalité japonaise, s'est intéressé en profondeur aux histoires imprégnées du folklore japonais. De mon côté, je m'intéressais depuis longtemps aux yōkai (N.D.L.R. : créatures surnaturelles dans le folklore japonais). J'en avais découvert dans les films de Hayao Miyazaki, en particulier le voyage du Chihiro, mais aussi dans les BD de Shigeru Mizuki.

Benjamin Lacombe a signé sa première bande dessinée à l’âge de 19 ans en 2001

Benjamin Lacombe a signé sa première bande dessinée à l’âge de 19 ans, en 2001 © Chloe Vollmer-Lo/Soleil

Avec Histoires de fantômes du Japon, j'ai pris beaucoup de plaisir pendant et après avoir fait le livre, ce qui n'est pas toujours le cas : on passe souvent par différents stades par rapport à l'œuvre qu'on créée. C'est un livre qui m'a fait du bien, artistiquement parlant, et j'avais besoin de continuer. Dans Esprits et créatures du Japon, c'est le même auteur, la même lignée et ça donne pourtant un livre très différent. Il parle du retour à la nature, la connexion avec le vivant qui nous entoure. D'emblée, on voit qu'on est pas dans la même façon de penser et repenser notre rapport au monde, chez nous et dans les cultures asiatiques. Un exemple : le mot nature n'a pas de traduction en japonais... »

Comment avez-vous découvert Lafcadio Hearn ?

B.L : « Dès qu'on se met à faire des recherches sur les yōkai, on se rend compte qu'il est la référence absolue. Un peu comme Grimm et Andersen quand on parle de contes. Il a collecté, épuré, traduit et vulgarisé cette culture extrêmement riche et complexe. J'ai beaucoup aimé les contes en eux-mêmes et je me suis dit que c'était fou qu'il n'existe aucune version illustrée! Ce sont de beaux livres, aux couvertures très soignées, mais qui comporte, au mieux quelques dessins.

Benjamin Lacombe propose un hommage féerique au Japon

Benjamin Lacombe propose un hommage féerique au Japon © soleil


Les yōkai sont souvent des histoires qu'on se racontait dans les villages, avec lesquels on jouait, d'où les jeux que j'ai placés en fin de livre. Il y a toujours une dimension ludique dans cet univers, mais aussi d'apprentissage : à chaque fois, il nous apprend quelque chose sur nous-même, notre environnement. En fait, le yōkai s'insère là où il y a de l'inconnu : dans un phénomène climatique comme le tsunami, dans le bruit que provoque le vent dans les feuilles, dans l'origine des arbres et tous les sons de la nature.... Ce qui est fascinant, c'est que ces intuitions, qui sont parfois multi-millénaires, sont d'une justesse scientifique incroyable aujourd'hui! »

Marie-Antoinette, Carmen, Alice, Frida Kahlo... Qu'est-ce qui vous attire chez les personnages féminins ?

B.L : « C'est devenu à la mode depuis quelques années de s'intéresser aux grandes figures féminines. Mais moi, c'est mon cas depuis le démarrage de mon parcours, il y a vingt ans. Vingt ans que j'aime mettre en avant des figures féminines qui sont des modèles d'émancipation, des femmes fortes car je trouve que ça manquait. En littérature jeunesse, les femmes étaient souvent réduites à leur fonction : mère, princesse...

Je trouve plus intéressant de présenter une femme dans autre chose que sa fonction. Frida, par exemple, n'a pas eu d'enfants. Je viens d'une famille de femmes fortes. Ma mère, docteur en psychologie, m'offrait des livres d'une maison d'édition féministe, L'école des femmes. J'ai aussi grandi au contact de deux sœurs avec de très fortes personnalités. Aborder les femmes de cette manière est donc quelque chose de naturel pour moi ».

Quels sont vos projets ?

B.L: « J'ai sorti cinq livres en 2020 (Bambi, deux Charlock, La famille Appenzell et Esprits et créatures du Japon) et je ne referai pas ça : c'est trop énorme mais c'est lié au Covid et au confinement, qui ont tout décalé. Je travaille sur les tomes 3 et 4 de Charlock (un au printemps et un en septembre 2021) ainsi que plusieurs projets un peu secrets, dont une histoire avec un personnage féminin de ma création, mais je ne souhaite pas en dire plus pour l'instant ».

Les yōkai sont souvent représenté comme un esprit malfaisant ou simplement malicieux

Les yōkai sont représentés comme un esprit malfaisant ou simplement malicieux © soleil

Comment avez-vous vécu les périodes de confinement ?

B.L: « Je n'ai jamais autant travaillé de ma vie que pendant le premier confinement. Ça relève de la catharsis : j'ai été très inquiet et le fait de constamment bosser évite de trop penser. J'ai terminé Esprits et créatures du Japon la veille du deuxième confinement. Heureusement, j'ai eu le temps d'enchaîner trois expos dans la journée ! La situation de ce deuxième confinement m'a dérouté : c'est bizarre de se dire qu'on fait un métier qui n'est pas essentiel, comme celui de vendre du maquillage par exemple.

Je n'avais jamais envisagé le maquillage sous cet angle (éclats de rire). C'est très personnel, mais si je devais être isolé sur une île, j'aurais d'avantage besoin de livres que de maquillage. Il y a quelque chose de scandaleux dans la gestion de cette crise et le mépris donné à la culture en France : c'est scandaleux !. On est un des pays qui soutient le moins la culture pendant cette crise et des tas d'artistes vont être obligés d'arrêter de créer car ils n'en auront plus les moyens ».

Article publié dans le Mag n°79 - Janvier - Février 2021

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