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Benjamin Blasco Martinez, le cowboy qui aimait le cinéma

Benjamin Blasco-Martniez est un auteur et dessinateur de bande-dessinée. Il se fait connaître grâce à la série Catamount, un western parut en 2015. Né en 1990, Benjamin est un grand passionné de cinéma dont il s'inspire énormément pour ses oeuvres. Le bédéaste nous livre ses références du septième et du neuvième art. 



Comment définissez-vous votre rapport à l'image ?

Benjamin Blasco-Martinez: Je suis un grand consommateur d'images avant d'être un créateur, ou un artisan de l'image. Je dessine depuis tout petit et je ne me suis jamais arrêté. J'ai grandi avec la télé, les séries animées, le cinéma, les livres illustrés et mes BD Astérix ou encore Tintin et [{RED_SER-6825}]Lucky Luke[{/RED_SER-6825}… Je pouvais passer des journées entières à reproduire une image qui me plaisait et peu importe si c'était une scène avec des centaines d'éléments ou un simple portrait. Quand un film me plaisait, je le reproduisait le lendemain en livre sur des feuilles A4 que je reliais avec une agrafeuse. Avec du recul, c'était déjà un bon exercice de mémoire visuelle et de narration. J'ai continué longtemps, même au lycée où je dessinais sur mes cours, c'était une période où l'école ne m'intéressait plus du tout, je ne cherchais qu'à acquérir le bac pour pouvoir entrer dans une école et apprendre correctement le dessin avec des bases solides. C'était une période où je jouais beaucoup aux jeux vidéos aussi, encore aujourd'hui d'ailleurs et j'y trouve souvent l'inspiration. Le jeu vidéo offre des univers fabuleux et des œuvres toutes aussi profondes et ambitieuses que celles du cinéma, à l'image de Red Dead Redemption, un western justement, ou The Last Of Us. L'école Emile Cohl de Lyon m'a permis d'acquérir toutes les bases et d'apprendre la BD et l’illustration. Elle m'a appris à raconter une histoire par l'image. Encore aujourd'hui j'ai gardé le réflexe de placer dans mes albums des éléments vus dans des films, des peintures, des bouquins, des jeux vidéos qui m'ont plu et inspiré. Pour créer, il faut avoir l'inspiration, et pour ça il faut consommer énormément d'images et avoir une bonne mémoire. Pour résumer, comme la plupart des auteurs et des artistes je pense, l'image occupe une majeure partie de nos vies, c'est plus qu'un simple boulot.




Pouvez-vous nous expliquer la manière dont vous réalisez une case de A à Z? Vous la réalisez exclusivement au crayon à papier?

Benjamin Blasco-Martinez: Avant la case, il y a le storyboard. Dans un premier temps je détermine la taille de la case selon ce qu'il y a à dessiner dedans et surtout selon le choix de la mise en scène et du cadrage. Je pose mes "masses" d'ombres, de lumières, mes premiers plans, mes personnages et mes décors au rough (NB: Esquisse) très rapidement. Ensuite j'observe l'ensemble de la planche avec l'agencement de toutes les cases et je m'assure que la narration fonctionne, puis visuellement je vérifie surtout si la planche est dynamique. Si besoin, je refais. Ensuite pour la case en elle-même, le rough est au crayon ou à la tablette graphique, je la scanne et l'imprime en bleu sur un bon papier épais 250g et je dessine au propre à la main, à l'encre ou au crayon le dessin définitif sur ce rough imprimé en bleu. Je scanne enfin ce propre, le scanner par une manipulation informatique ne garde que le noir de l'encrage ou du crayon propre, et la couleur se fait informatiquement à la tablette graphique pour gagner du temps et par sécurité. 



Pour vous, quel est le secret d'une planche réussie?

Benjamin Blasco-Martinez: Une planche réussie est une planche harmonieuse. Qu'elle soit dynamique ou contemplative, qu'il y ait beaucoup ou peu de cases. L'harmonie et la dynamique viennent de la diversité des cadrages, associée aux masses d'ombres et de lumière disposées sur l'ensemble de la planche. Une belle ambiance générale pour la couleur peut suffire mais une couleur narrative est préférable. Pour le côté narratif, cela doit être le plus fluide possible dans l'enchaînement des bulles et des cases à la lecture.



Existe-t-il un genre de BD que vous appréciez dessiner en particulier? Pourquoi?

Benjamin Blasco-Martinez: J'aime bien dessiner l'historique, car j'adore le travail de recherches et de documentation qui précède. Étant également passionné d'Histoire, cela m'apporte un réel plaisir de mettre en scène des personnages dans un contexte, des lieux, des époques avec leurs accessoires. C'est une des raisons pour lesquelles j'affectionne le western mais pas que. Ensuite, à plaisir équivalent, les univers fantastiques et de science-fiction, ou cela devient de la pure création et c'est tout aussi passionnant.



Comment définissez-vous votre registre graphique?

Benjamin Blasco-Martinez: Pour l'instant, je suis plus orienté vers le réalisme/dramatique car c'est le genre d'histoire que j'aime entendre ou regarder et raconter. Mais j'aimerais explorer d'autres choses comme le merveilleux, l'héroïque fantasy ou la science-fiction. J'ai la chance de travailler actuellement sur une trilogie BD SF et cela me passionne énormément.


Y a t-il des bédéastes qui vous ont influencé? 

Benjamin Blasco-Martinez: Quand j'étais enfant, Astérix, Tintin et Lucky Luke. Ado, j'ai découvert le travail de Tardi à travers sa BD C'était la Guerre des Tranchées, ce fut un réel choc émotionnel pour moi, l'horreur viscérale à l'état pur et un vrai pamphlet antimilitariste. Un chef d'œuvre. Culte. Plus tard, j'ai appris qu'il avait refusé la légion d'honneur pour son travail. J'ai rigolé car je me suis demandé : "qui est l'imbécile à avoir eu cette idée de m*rde ?" Cette personne ne connaissait visiblement ni l'œuvre, ni le bonhomme... J'ai découvert ensuite Guarnido avec Blacksad, Marini avec Les Aigles de Rome et Le Scorpion, Prugne avec Canoë Bay, qui ont étaient mes premières vraies références graphiques avant même d'être étudiant. Ensuite j'ai découvert le travail de Matthieu Lauffray  avec Long John Silver, Alex Alice avec Siegfried, Mandrafina  avec Spaghetti Brothers,ect.



Avez-vous reçu un conseil que vous n'oublierez jamais?

Benjamin Blasco-Martinez: Pour les conseils j'en ai reçu plusieurs. Je peux citer celui que Jean-Yves Mitton m'a donné un jour : "Le personnage le plus important dans une BD c'est le méchant, l'antagoniste, ne jamais le négliger." Celui de Robin Recht : "Dis-toi que quand tu penses avoir dessiné quelque chose de génial, en réalité c'est juste pas trop mal". Très important comme conseil celui-là, j'essaye de l'appliquer tous les jours.Eric Herenguel: "Cherche toujours à "booster" ta mise en scène et tes cadrages ». Ce conseil fait toute la différence entre une case ennuyeuse et une case dynamique. Nicolas Otero m'en a donné un on ne peut plus véridique, mais celui-là je ne peux pas le dire publiquement, je le garde pour moi!




Existe t-il des films qui ont été source d'inspiration pour vos BD?

Benjamin Blasco-Martinez: Toujours ! C'est incontournable pour moi.En quelques exemples, pour Catamount, on retrouve un peu La Prisonnière du désert de Jonh Ford), Django Unchained de Quentin Tarantino, Le Masque de Zorro de M. Campbell ou Fureur apache de R. Aldrich dans La jeunesse de Catamount (Tome 1).
Pour le Train des maudits (Tome 2) je me suis beaucoup inspiré du Grand Silence (S. Corbucci), Le Convoi sauvage de R. C. Sarafian. The Revenant d'Inarritu en est le remake. Et également Gladiator de Ridley Scott pour certaines scènes.
Pour La Justice des corbeaux (Tome 3), c'est essentiellement Snatch de G. Ritchie et un peu Gladiator.
Et enfin pour La Rédemption de Catamount (Tome 4), on retrouve Il était une fois dans l'OuestMon nom est PersonneLe Bon, la Brute et le Truand (S. Leone) et Dead Man (J. Jarmusch).
Pour L'Homme de l'année 1888 (Céka/F. Blanchard), j'ai regardé plusieurs fois la série Netflix Mindhunter, et la plupart des films de serial killers comme Le silence des agneauxCopycat (J. Amiel), Seven ou Zodiac (D. Fincher).
En ce moment je travaille sur un projet SF chez Glénat avec Philippe Pelaez. On sera sur du Blade Runner et Alien de R. Scot), The Thing (J. Carpenter) ou Ghost In the Shell de M. Oshii.
Je travaille en parallèle aussi sur un one shot sur la guerre de Troie chez Petit à Petit avec Mikael Coadou où je suis carrément parti sur du Conan Le Barbare de J. Milius.


Est-ce que le cinéma est un médium que vous pouvez rapprocher de la bande dessinée?

Benjamin Blasco-Martinez: Evidemment. Les seules différences entre le cinéma et la BD c'est que d'un côté les images bougent et il y a du son et de l'autre non. Et qu'est-ce qu'un film avant d'être un film sinon une BD ? On appelle ça un storyboard. Il faudrait une BO pour chaque nouvel album à écouter pendant la lecture, ce serait génial comme idée ! 


Concernant la série Catamount, il s'agit de l'adaptation d'un roman. Quelle est la spécificité pour un bédéaste de se confronter à l'exercice de l'adaptation?

Benjamin Blasco-Martinez: Il y a environ 70 romans relatant les aventures de Catamount écrits par Albert Bonneau. La difficulté est d'essayer de faire tenir l'essentiel d'un roman de 200 pages dans un album de 60 pages. Pour ça, il faut faire des choix narratifs, garder l'essentiel, le plus intéressant à exploiter. Il faut combler les trous et relier tous ces éléments gardés avec nos propres trouvailles, tout en ne dénaturant pas l'essence de l'œuvre originale. C'est un exercice assez délicat d'équilibriste, où l'on a parfois les mains liées avec les ayants droits d'un côté et l'éditeur de l'autre. Quand il s'agit  d'une série c'est pire car nous sommes limités dans le temps pour la réalisation, à savoir un album tous les 1 ou 2 ans. C'est très éprouvant sur le long terme et c'est ce qui m'a un peu poussé à stopper la série pour le moment. 





Concernant la notion de flashback que vous avez utilisé dans Catamount T3, quelle est la spécificité du flashback dans la BD en général selon vous?

Benjamin Blasco-Martinez: Comme au cinéma, pour apporter des précisions scénaristiques, créer de l'émotion et de l'empathie chez un personnage en révélant son passé, rythmer le récit, créer un cliffhanger, c'est le cas dans Catamount 3 et Snatch dont je me suis inspiré à la demande de Gaet's, mon co-scénariste sur cet album. Il faut par contre bien le maîtriser et le placer correctement dans le récit pour pas que le lecteur ne perde le fil de l'intrigue. Pour cela, en BD on procède souvent avec des changements d'ambiance ou de teinte générale. Par exemple on passe de la couleur (présent) au noir et blanc (passé). Classique mais toujours efficace.


Quel est votre rapport au western? Comment avez-vous découvert ce genre?

Benjamin Blasco-Martinez: Étant enfant, je lisais Lucky Luke sans savoir qu'il s'agissait d'un western. C'est en ayant regardé un jour tard le soir, je devais avoir 8 ans, la fin de Et pour quelques dollars de plus de Sergio Leone, que j'ai su ce qu'était un western: c'est mon père qui me l'avait expliqué. Ce duel de fin entre le colonel Mortimer, joué par Lee Van Cleef et l'Indien, interprété par Gian Maria Volonté, sur cette BO extraordinaire d'Ennio Morricone, restera gravée dans ma mémoire jusqu'à la fin. Et enfin ce cliffhanger magistrale ou L'Homme sans nom, personnage joué par Clint Eastwood, intervient et change la donne de ce duel perdu d'avance ! Ce final est tellement parfait qu'un môme de 8 ans l'a compris tout seul. Toute la magie du cinéma et le talent de Sergio Leone sont résumés dans cette scène. Le western italien dit "spaghetti" est souvent décrié par les amateurs et les "connaisseurs" du genre, car trop caricatural. C'est un peu injuste de le réduire à cela. En effet, c'est un western plus sombre, violent et baroque, dans lequel les personnages, peut-être plus proches de leurs référents historiques que leurs homologues hollywoodiens trop idéalistes, n'hésitent pas à se tirer dans le dos. J'ai vraiment une attirance particulière pour ce genre ainsi que les westerns dits "crépusculaires", ceux de Peckinpah, Aldrich ou Clint Eastwood.


Pour vous, quels sont les ingrédients d'un bon western?

Benjamin Blasco-Martinez: Tout d'abord bien choisir son lieu, ses décors, l'Amérique du Nord offre un large choix, des déserts arides et rocailleux, de hautes montagnes enneigées, des grandes plaines infinies. Une nature sauvage et inhospitalière dans laquelle on va poser un ou plusieurs éléments de civilisation. Cela peut être un fort militaire, une ville, un saloon, un ranch, une prison, un ou des chariots etc.
Pour la structure narrative, elle est souvent simple, binaire, avec deux opposés. Il est souvent question d'opposer civilisation et le monde sauvage/primitif, c'est la lutte pour un territoire, pour préserver l'ordre public, ou une quête d'un objet, d'une personne, d'un lieu. L'honneur, la vengeance, la cupidité sont courants dans les westerns, mais la thématique du bien et du mal est toujours omniprésente. Les protagonistes sont très contrastés pour bien montrer leur opposition et doivent avoir un caractère parfaitement identifiable et cela, au premier coup d'œil. Ils ne doivent pas, ou alors peu exprimer leurs sentiments. Il faut user et abuser même des silences. Et enfin la violence. La mort, la brutalité, la cruauté, c'est l'ADN du western et malheureusement de la conquête de l'Ouest. L'intrigue mène inexorablement à un bain de sang, un massacre, un duel, une fusillade, un braquage etc. Cependant, il est bon de garder de la simplicité et de l'humanisme en général. La notion de liberté et l'esprit d'aventure est primordiale aussi, c'est ce qui fera que les gens aimeront toujours le western et qu'importe les générations.


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