Wilfrid Lupano a l’écriture chevillée au corps. Il s’est imposé parmi la nouvelle génération de scénaristes qui aborde tous les sujets et sait faire évoluer son style. Lupano sait aussi défricher des territoires en jachère. Il s’en explique.
La BD comme moyen d'expression
Wilfrid Lupano, vous avez traité de sujets aussi différents que le western avec L’Homme qui n’aimait pas les armes à feu, la balade de retraités avec Les Vieux Fourneaux ou la politique avec Sarkozix. Comment validez-vous une idée et décidez d’aller plus loin ?
Avec Lupano, Sarkozy devient gaulois !
Changer de sujet ne me pose aucun problème, ça m’est même nécessaire. Je m’intéresse à toute sorte de choses, je ne suis spécialiste de rien et curieux de tout. En général, les projets viennent tous à leur manière, il n’y a pas de recette fixe. Pour Sarkozix, l’idée m’a été proposée par Guy Delcourt. J’ai écrit Le Singe de Hartlepool après avoir découvert cette légende en Angleterre. Alim le tanneur est parti du thème : explorer les rapports entre religion et pouvoir, par le personnage d’un simple et modeste croyant.
Les idées viennent comme ça, de mes préoccupations, de l’air du temps. Par contre, j’aime en général laisser « reposer » les idées assez longtemps, pour voir si elles résistent toujours à mes propres critiques plusieurs semaines, mois, ou parfois années, après que je les ai formulées.
Dans L’homme qui n’aimait pas les armes à feu, on peut lire l’histoire à plusieurs niveaux. Dans le tome 3, on sent une connotation historique et sociale. Le tout avec des personnages complètement atypiques ?
Oui, c’est le but que je recherche dans ce type de série, comme dans Alim. J’essaye de proposer un divertissement de bonne qualité, efficace, mais qui laisse aussi la place à la réflexion, au questionnement, et à une présentation non binaire des événements. La BD permet ça superbement, à mon sens.
Quelle était votre envie quand vous avez décidé d’écrire cette histoire ?
Lupano se réapproprie le
Grand Ouest américain !
Je voulais proposer une relecture un peu piquante des mythes fondateurs de la culture américaine. Le flingue étant au cœur de cette culture que l’on est priée d’ingurgiter à pleines lampées dans tous les produits made in USA, il me paraissait intéressant d’essayer de comprendre dans quelles circonstances les « pères » de la constitution américaine avaient cru bon d’ajouter ce deuxième amendement, traitant du droit de posséder et de porter des armes.
L’histoire de la création des Etats Unis étant un vaste mouvement vers l’ouest à coups de flingues, j’ai imaginé un mouvement retour, de Los Angeles à Washington, avec pour objet la possibilité de faire abroger ce deuxième amendement. Dans cette série, avec mon comparse le surdoué Salomone, on rembobine le Go West américain, avec des arrêts sur image sur les grands moments: massacre des natifs, destruction de leurs cultures, esclavage... et d’autres trucs qu’on vous réserve pour le tome 4.
Et comme c’est une idée tordue, on a commencé par des mexicains alcooliques et des femmes nues, pour se faire pardonner.
Dans Les Vieux Fourneaux vous mettez en scène trois papis qui font de la résistance. C’est une génération qui vous est chère ?
Le projet est né après une réflexion menée avec Paul Cauuet, le dessinateur, sur les thématiques que l’on avait envie de développer dans notre prochain projet en commun. On est tombé d’accord sur la génération de nos grands-parents. Cette génération qui est née juste avant la dernière guerre est probablement la génération qui a vécu les plus importants bouleversements civilisationnels et culturels dans l’histoire de l’humanité. Elle est passée d’une France rurale qui labourait à la charrue aux écrans tactiles. Elle a connu tous les extrêmes, expérimenté tous les -ismes, créé les médias modernes, et perdu le contrôle du progrès technologique. C’est une génération unique.
Nous étions aussi touchés par le thème de la transmission, car nous avons de jeunes enfants. La question « quel monde lègue-t-on aux nouveaux arrivants ? » est donc légitimement centrale dans la série.
Avec Lupano, les vieux sont loins d'être gagas !
Un univers sans limites
Quand vous écrivez un scénario, avez-vous en tête un nom de dessinateur ou pas?
Cela dépend des projets. Les Vieux Fourneaux ou Azimut sont des séries écrites depuis le départ pour un dessinateur, c’est donc du «sur mesure». En revanche, Le Singe de Hartlepool, Ma Révérence, ou L’Homme qui n’aimait pas les armes à feu ont été écrits sans que je ne me préoccupe de savoir qui allait les dessiner. Ce n’est que dans un second temps, lorsque mon travail d’écriture est totalement achevé, que je pars en quête du bon dessinateur, avec parfois l’aide des éditeurs à qui je fais lire mes projets. C’est par exemple Delcourt qui m’a suggéré Paul Salomone après avoir lu mon scénario de L’Homme qui n’aimait pas les armes à feu.
Azimut, une série faite sur mesure pour le dessinateur Andreae !
Après vos cinq tomes de Sarkozix, la BD d’humour vous semble un bon moyen de parler de politique ?
Oui, mais pas forcément sous la forme qu’on avait choisi dans cette série. Pour commenter les événements politiques, le dessin de presse reste à mon avis plus efficace, parce qu’en BD, le temps de réalisation des planches et les délais de publication font que lorsque le livre sort, les événements qui sont critiqués sont déjà passés depuis des mois, ce qui est long en politique. En revanche, pour parler de la politique en général, de ses travers, de sa mécanique occulte, la BD me parait tout-à-fait légitime.
Quelles sont vos prochaines sorties ?
Ma Révérence, un des nombreux projets
de Lupano, primé à Angoulême
Je prépare plusieurs projets. D’abord, chez Delcourt, je sors dans quelques mois une histoire entièrement muette de près de 250 pages avec l’étonnant Grégory Panaccione au dessin. Ça s’appelle Un Océan d’amour.
En 2015, il y aura aussi Traquemage une série d’un tout nouveau genre littéraire : la Rural Fantasy fromagère, que nous venons d’inventer avec l’excellent Relom au dessin. Les dessins sont sublimes, l’aventure est époustouflante. Après, il faut aimer le fromage.
Sinon, chez Vents d’Ouest, il y aura une série nommée Communardes ! qui parle des femmes engagées dans la Commune de Paris, celles que l’on a appelé les Pétroleuses. Bref, plein de trucs.
Qu’est-ce qui prime ? L’époque, une histoire ou les personnages ?
C’est toujours le propos de l’histoire qui prime à mes yeux. Il n’y a selon moi pas de bons ou de mauvais sujets, ni de période historique plus intéressante qu’une autre. C’est seulement la façon dont on traite ce sujet qui change tout.
Avec L'Homme de l'année 1967, Lupano vous entraine en pleine révolution cubaine.
Après, il m’arrive de demander aux dessinateurs dans quel type d’époque ou d’univers ils ont envie de travailler, parce que pour eux, c’est souvent plusieurs années d’immersion, donc autant que ça reste un plaisir. Mais je ne me tiens pas toujours forcément à leurs demandes, parce que je considère que c’est aussi mon rôle de leur faire découvrir des périodes ou des cultures auxquelles ils n’ont pas forcément pensé dans un premier temps, et qui leur permettront tout de même de s’exprimer.
Enfin quel lecteur de BD êtes-vous ? Quels sont les derniers albums que vous avez lu?
J’ai beaucoup aimé Les Ombres, de Zabus et Hippolyte, et aussi Une Affaire de caractères, de François Ayroles.
Et quel est l’album écrit par un autre scénariste que vous auriez aimé écrire ?
Je me rends compte en essayant de répondre à cette question que je n’ai pas beaucoup de BD « avec scénariste » dans mes favoris... J’en tire les conclusions qui s’imposent...
J’aurais bien aimé écrire Retour à la Terre à la place de Ferri. Et n’importe quel Astérix de Goscinny. Et Oumpah-Pah.
Quand Lupano s'empare d'une anecdote, il en fait une BD étonnante !
Votre Avis