Lucky Luke

Lucky Luke, fidèle à la conquête de l’Ouest ?

Morris en Amérique

Morris, Franquin et trois des enfants
de Jijé en Californie - 1948
(L’art de Morris) © Archives Gillain

Si Lucky Luke est créé et publié pour la première fois en Belgique, le dessinateur du héros américain ne s’est pas contenté de dessiner dans son pays natal ! Dès 1948, après la fermeture du studio d’animation où il travaillait, Morris s’installe pour six ans aux Etats-Unis en compagnie de Franquin et Jijé. C’est là qu’il fait la rencontre de René Goscinny, qui travaillait dans une usine de pneus ! Leur collaboration fut des plus fructueuses puisqu’elle dura de 1955 à 1977, jusqu’à la mort du scénariste.

En Amérique, Morris continue à dessiner son cow-boy pour Spirou. Il enrichit son travail grâce aux documents sur la conquête de l’Ouest qu’il trouve à la bibliothèque de New York. C’est ainsi que l’on retrouve dans Lucky Luke de nombreux bandits ayant réellement existés en Amérique... comme les frères Dalton ! Ainsi que d’autres personnalités célèbres comme Jesse James, Calamity Jane et Buffalo Bill !

Mythique Far West

Pour autant, avec ses décors simplifiés laissant la part belle à l’intrigue, Morris n’a pas conçu Lucky Luke comme une œuvre réaliste. Lieux de combats épiques, les saloons avec large pignon sur rue étaient par exemple peu probables dans l’Ouest du XIXe siècle, à cause de la taxe sur les vitrines. Le dessinateur hors pair privilégie donc l’imaginaire canonique de Far West, largement véhiculé par le cinéma western.

Morris est un grand fan de ce cinéma dont il reprend les codes : les Indiens, la cavalerie, les caravanes... tout y est ! Le personnage de Lucky Luke est lui-même une synthèse des personnages de films, avec l’influence notable de Gary Cooper, l’exemple parfait du cow-boy pour Morris !

Extrait de Lucky Luke T.40

Pourtant, en s’éloignant de la vision binaire véhiculée par les premiers westerns, c’est à dire de l’éternel affrontement Indiens/cow-boys, Morris s’éloigne des codes du western classique, souvent simpliste et colonialiste. C’est ainsi que l’on croise des Irlandais, des Chinois, des Hollandais, etc. qui se retrouvent tous au saloon autour d’une bonne bagarre.

Comme Morris le dit lui-même, Lucky Luke c’est « du western spaghetti avant l'heure » (Lire, juillet 1997/août 1997) ! Pourtant, contrairement aux héros de western, Lucky Luke prend soin de ne tuer personne. Loin de la noirceur qui s’éveille dans le western spaghetti et qui s’épanouira avec les évolutions du genre, Morris conservera malgré l’ambiance bon enfant de sa série.

Une série politiquement correcte ?

Extrait de Lucky Luke T.34

Le Lucky Luke que l’on connaît aujourd’hui a pourtant bien changé par rapport à ses débuts. Autrefois fumeur et n’hésitant en fait pas à tuer ses adversaires, ce héros fut un sujet de polémique si bien que la série dut souvent être modifiée. Car dans les années 40, la censure française d’après-guerre veillait aux valeurs transmises dans les œuvres accessibles à la jeunesse !

La censure tenait à que les auteurs de BD n’usent pas de trop de violence. Une contrainte qui a poussé les scénaristes à inventer de quoi remplacer duels et pendaisons, des classiques du western ! Voilà pourquoi Lucky Luke se contente de désarmer ses adversaires plutôt que de les abattre...

Une deuxième vague de changements arriva avec l’adaptation de la série pour le marché de l’animation américaine dans les années 80. Les stéréotypes liés à la représentation des groupes éthniques sont atténués. Lucky Luke perd également sa cigarette, la remplaçant par un brin d’herbe. Une initiative qui vaudra à Morris la reconnaissance de l'Organisation Mondiale de la Santé, car à partir de ce moment, Lucky Luke tire deux fois plus vite que son ombre !

Extrait de Lucky Luke T.39 (image éditée)

Personnage au grand cœur, même avec les bandits, Lucky Luke est finalement une force tranquille se faufilant sans peine entre les balles qui pleuvent sur les terres arides du Far West.